Dimanche 22 janvier 2023, le Burkina Faso a fait savoir que la présence des quelque 400 soldats français présents actuellement sur son territoire n’était plus souhaitée. Cette annonce fait suite à un sentiment anti-français grandissant en Afrique et à l’arrivée de nouvelles puissances sur le continent. Retour sur les raisons de cette fracture en cinq points.
Les soldats de l'opération Barkhane ont dû plier bagages en novembre 2022 suite à la fin de la collaboration franco-malienne. Photo : AFP
Le sentiment anti-français ne cesse de croître en Afrique de l’Ouest. Les nombreuses manifestations au Mali, au Sénégal ou encore au Burkina-Faso en faveur du départ de l’ancienne puissance coloniale du continent africain. Dimanche 22 janvier 2023, la demande de départ des 400 forces spéciales françaises faite par le pouvoir burkinabé, met une nouvelle fois en exergue la montée de l'hostilité envers la France. Emmanuel Macron a appelé à “une clarification” de la part du leader militaire en place Ibrahim Traoré. “Je pense qu'il faut garder beaucoup de prudence” a-t-il conclu.
Mais alors pourquoi ce sentiment anti-français est-il en hausse ?
1/ Un passé colonial pesant
Raison évidente de la montée de l'hostilité en Afrique de l’Ouest : la position historique de la France en Afrique ne lui rend pas service dans l’opinion publique. Les nombreuses exactions commises dans le passé planent toujours dans le débat sur la françafrique. La jeunesse africaine, contrairement à ce que certains pourraient penser, n’a pas oublié les souffrances qu’ont pu générer la colonisation.
Ce passé colonial est tellement gênant pour les Français, qu’en 2005, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 incitait les cours d’histoire à reconnaître le rôle positif de la France dans la colonisation. “A force de ne pas parler de ces histoires, on abîme durablement les individus et la société, c'est comme un cancer qui nous ronge de l'intérieur et empêche tout avenir commun” déclare Christelle Taraud historienne spécialiste de la colonisation.
2/ Une montée de l’insécurité
Depuis maintenant des années, l’Afrique de l’Ouest est plongée dans la spirale terroriste. L’arrivée de l’armée française sur place dès 2014 au Mali avec l’Opération Barkhane était censée remédier à la progression de groupes terroristes comme Boko-Haram ou AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique). Mais huit ans plus tard, les résultats sont loin de convaincre. La situation s’est au mieux stabilisée, mais la menace terroriste est toujours bien présente. De quoi remettre en question l’utilité de l’armée française sur le territoire des pays concernés.
Le Mali a été le premier à sauter le pas. Le 9 novembre dernier, elle expulse les soldats français de son territoire, les résultats de ceux-ci ne sont pas au niveau des attentes des Maliens. La déception est au niveau des attentes qui avaient été placées en l’armée française à la puissance souvent fantasmée par les locaux. Depuis, le Mali est toujours en proie aux groupes fanatiques religieux. Le retrait probable des troupes françaises au Burkina Faso fait naturellement écho à la citation géopolitique tendue avec le Mali. La (re)montée récente de l’insécurité au Sahel relance le marronnier de l’utilité de la France dans la défense nationale des pays qui accueillent l’armée française.
3/ Une position dominatrice qui gène
Autre sujet de tension entre la France et ses homologues d’Afrique, la position parfois arrogante voire infantilisante de l’ancienne puissance coloniale. “La France peine à se défaire du paternalisme et d'attitudes qui frisent avec l’arrogance” explique Christian Kaboré, ancien président du Burkina Faso. La position du président français en 2017 lors d’un discours dans une université burkinabaise avait par exemple fait scandale.
De manière générale, la France a une tendance à se comporter avec les pays africains différemment qu’avec les pays occidentaux par exemple. Cette différence de traitement agace. L'interventionnisme français en Afrique pour maintenir des dictatures ou soutenir certains hommes politiques afin de conserver ses intérêts nuit également à son image aux yeux des pays Africains. Les complicités avérées entre la France et des dictateurs criminels au Tchad ou au Cameroun par le passé parachève un tableau peu glorieux du pays des droits de l’Homme.
4/ Un discours anti-immigration mal perçu au Sahel
La politique migratoire française, et plus globalement européenne, ainsi que les débats politiques qui en découlent sont souvent mal vécus par les populations d’Afrique de l’Ouest. Contrairement à la pensée majoritaire, les populations sub-sahariennes sont celles qui migrent le moins vers l’Europe. Les débats autour de l’immigration sont en revanche largement médiatisés dans les pays francophones, cultivant une fracture déjà bien visible avec la France. Ces débats politiques entretiennent chez les populations africaines un sentiment de rejet de la part des Français et de leurs dirigeants.
Ce sentiment d’aversion subi par les Maliens, sénégalais, burkinabais et de l’Afrique en général crée de la défiance. “Dans ces conditions, comment ne pas considérer que la France rejette massivement les Africains et ne se trouve sur le continent que pour des raisons de prédation ?” soutient Jonathan Guiffard, expert en relations internationales.
5/ Une présence Russe toujours plus forte
L’Afrique est le nouveau terrain de jeu du Kremlin. Les mercenaires du groupe Wagner, connus pour leurs actions polémiques dans différents pays, sont présents au Mali, en Libye, au Soudan et en Centrafrique. Ces derniers jours, de nombreuses vidéos russes prenant la forme de dessins animés pullulent sur les réseaux sociaux. Sur une de ces vidéos on peut par exemple voir des soldats zombies français attaquer des soldats africains, aidés par de valeureux militaires russes. Cette forte propagande mise en place par le gouvernement russe cultive un terreau favorable à une implantation durable de la Russie en Afrique.
Une propagande dont la France fait directement les frais, de nombreuses manifestations ayant eu lieu au Burkina Faso montrent bien le revirement de situation. Des drapeaux russes flottaient ce week-end lors de mobilisations, les pancartes anti-françaises étaient elles aussi bien présentes. Le futur de la France en Afrique semble donc plus incertain que jamais alors que la Françafrique semble désormais n’être qu’un lointain souvenir.
César Moumaneix
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